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[INTERVIEW] – Francis Dubrac, PDG d’une entreprise cosmopolite depuis sa création

par Redaction
[INTERVIEW] - Francis Dubrac, PDG d'une entreprise cosmopolite depuis sa création

En France, certaines entreprises sont à mettre en lumière pour la diversité qui fait leur histoire mais aussi pour être à l’écoute de leurs employés cosmopolites, prenant en compte leurs croyances et acceptant également le port du hijab. Ainsi sur Katibîn.fr nous braquons les projecteurs sur la société Dubrac, en Seine-Saint-Denis, avec nos questions posées à son PDG, Francis Dubrac.

– Bonjour Monsieur Dubrac… Dans un premier temps, pourriez-vous nous parler de votre entreprise ?
Bonjour… Créée en 1922 par Alexandre Dubrac, l’entreprise est dans la lignée des paveurs limousins qui ont non seulement pavé les rues de Paris au début du XXème siècle mais qui sont également à l’origine de la création de la grande majorité des entreprises de travaux publics de la région parisienne. C’est à cette époque qu’elle embauchera les premiers migrants bretons, italiens et espagnols.

C’est après la deuxième guerre mondiale et avec la mécanisation apportée par les troupes alliées au travers du matériel du génie que les chevaux et tombereaux seront abandonnés pour laisser la place a du matériel moderne qui donnera un nouvel élan à l’entreprise.

Peu à peu, l’entreprise gagnera sa réputation au travers de ses réalisations de prestige notamment en pavage et dallage. Elle a par exemple réalisé la voie express rive gauche, le parvis de Notre Dame de Paris, le pavage de Beaubourg, la place Vendôme ou encore le pavage du port d’Honfleur. 

Tout cela ne devint possible qu’avec le renfort de nouveaux immigrants issus du Maghreb et du Portugal puis un peu plus tard de l’Afrique sub-saharienne et de la Turquie.

A partir des années 60, tout en conservant sa tradition et son savoir-faire en terme de pavage et dallage, l’entreprise va se perfectionner en application d’enrobés et d’asphalte pour se doter, à la fin des années 80, de deux usines de fabrication sur le Port de Gennevilliers, l’une d’enrobés dénommée SFE et l’autre d’asphalte dénommée IDFA, ainsi que de deux finisseurs d’application.

Forte de ses 300 salariés, l’entreprise s’est spécialisée dans les travaux d’entretien en étant bailleur des Villes telles que Paris ou Romainville entre autres, de Plaine Commune, ainsi que de la Direction Départementale de l’Equipement du Val d’Oise. Elle embauche prioritairement les jeunes et moins jeunes issus de son environnement géographique.

Elle réalise également des travaux d’assainissement pour le compte du Conseil Général de la Seine Saint Denis et de nombreuses autres communes. Elle s’est enfin spécialisée dans les travaux routiers avec application d’enrobés pour le compte des autoroutes notamment, sous la responsabilité de la DIRIF (Direction Interdépartementale des Routes Ile-de-France).

 

– Dernièrement, on voyait à la télévision un reportage sur France 5 vous présentant comme une entreprise familiale avec des employés de toutes les confessions, pourriez-vous justement me dire quelques mots sur cet aspect très cosmopolite de votre société ?
L’entreprise, de par sa propre histoire et celle de son département dans lequel elle est viscéralement incluse, a connu toutes les vagues migratoires migrantes et immigrantes. Comme le département, elle a accueilli, formé, apporté de la qualification aux premières générations dont on pourra constater avec satisfaction que les enfants quitteront le métier et le département dans le cadre d’une ascension sociale. C’est pourquoi le fait de rencontrer sur nos chantiers une telle diversité de population fait partie de l’ADN de l’entreprise. Le travail ensemble au beau milieu de cette grande diversité est tellement ancré dans les habitudes de vie que chacun n’y prête plus attention. 

 

– Vous avez aussi embauché une femme qui porte le hijab, son foulard n’a-t-il pas justement posé problème pour vous ?
Pour être tout à fait honnête cette jeune femme s’est présentée à l’embauche avec un foulard porté sur un turban. Lors de l’entretien elle nous a confié que le port de son foulard dans l’enceinte de l’entreprise n’était pas une priorité mais qu’elle souhaitait porter son turban, que nous avons plus vu comme le port d’un accessoire vestimentaire traditionnel qu’un affichage religieux ostentatoire. Dans ces conditions rien ne posait problème à la communauté de travail.

Aujourd’hui et depuis cinq ans cette jeune femme d’origine malienne et musulmane, pratiquante, vit sa religion de façon tout à fait personnelle, la qualité de son travail en fait une salariée reconnue et bon nombre de ses collègues aiment parler avec elle de sa religion et de ses principes dans un but de culture générale et de compréhension des faits de société. Il n’empêche qu’elle remet son foulard dès qu’elle remonte dans la voiture. Religion ou tradition : le débat est ouvert !

 

– Est-ce que la méfiance qu’il peut y avoir aujourd’hui en France à l’égard des musulmans aurait pu vous empêcher d’employer cette jeune femme ?
Comme je vous l’ai dit, cette tradition d’embauche dans la plus grande diversité cosmopolite n’a jamais été une question pour l’entreprise. La question de l’embauche des femmes dans nos métiers du BTP se résumait jusqu’ici à des postes d’administration ou de comptabilité pour lesquels les emplois étaient pourvus par des femmes d’origine européenne. Il est vrai que bon nombre de jeunes filles issues de l’immigration de deuxième ou troisième génération ont accédé à des niveaux élevés d’études et que le marché de l’emploi propose soit par l’alternance soit par l’embauche directe des profils de toutes les origines. Si pour nous ceci revêt de la normalité et d’une évolution sociétale positive, cette question d’évolution de la représentativité peut être une question pour d’autres. J’irais même jusqu’à me demander qui viendrait travailler dans nos entreprises tant les fantasmes négatifs sur le 93 rebutent les candidats.

 

– Que pensez-vous du refus des sociétés quant à l’embauche de femmes voilées ? 
Je crois qu’il faut s’entendre sur le vocabulaire. S’il s’agit de porter un foulard ou le « hijab » dans l’entreprise pourquoi pas. J’assimilerais cela à un retour aux traditions vestimentaires et son port ne me gêne aucunement. Même si je m’interroge pour comprendre pourquoi les jeunes femmes des années 1970/1980 étaient moins porteuses de ces valeurs à contrario de celles d’aujourd’hui.

J’irais même à constater que cela embelli aussi le port de tête.

Le législateur a interdit le port du « niqab » ou plutôt a interdit de se cacher le visage dans l’espace public. Je pense que nos salariés ne sont pas prêts à travailler avec une collègue dont la perception des émotions serait entravée. Son assimilation dans l’entreprise en sera très compliquée voire impossible.

 

– Pensez-vous que le gouvernement, le ministère du Travail, devraient davantage inciter les entreprises à embaucher toutes les femmes, sans distinction ? 
La place de la femme dans la société est un combat de tous les jours. Quand on se penche sérieusement sur le travail autour du rapport homme/femme dans chaque entreprise on est surpris de la discrimination souvent inconsciente mais réelle et constante dont les femmes font preuve. A niveau égal mais à métiers différents, la femme sera systématiquement sous classée. Le chemin est encore long pour une égalité homme/femme. 

Et oui, le ministère du Travail doit encourager et inciter les entreprises à embaucher les femmes dans le respect mutuel des lois et du code du travail.

 

– Vous n’avez pas de charte de la laïcité dans votre entreprise, le gouvernement compte sortir un « guide du fait religieux en entreprise ». L’utiliserez-vous ou alors mettrez-vous en place votre charte ? 
Je crois que ni moi ni mes salariés, compte tenu de notre passé, de notre histoire, de notre connaissance et de notre approche de l’autre, avons besoin d’une charte et d’un guide. Pour moi de nombreuses chartes ont été faites pour rappeler le principe de la laïcité et écarter toutes discussions et avancées dans l’entreprise. Si le ministère sort un guide des bonnes pratiques de rencontre du « fait religieux » en entreprise alors je le lirai.

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1 commentaire

Karim 4 octobre 2016 - 20 h 10 min

Bravo pour cet article positif
Tant que le visage n’est pas caché, les émotions et la gestuelle passent pour compléter et préciser ce que l’on dit. C’est indispensable pour pouvoir se faire comprendre et qu’une femme puisse prendre des responsabilités
Le hijab ne cache pas le visage, donc acceptable

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